Il est grand Georges
C’était un beau bébé comme on dit. Un très beau bébé même. A la clinique, l’accouchement n’a pas été de tout repos, ni pour la mère, ni pour les sages femmes. Georges faisait à la naissance 50 cm et près de 11 kg le faisant presque entrer directement dans le livre des records. Mais bon, les pédiatres ne se sont pas affolés, recommandant seulement aux parents de surveiller « la surcharge pondérale » de l’enfant. En fait, c’était un gros bébé.
L’être humain, dans sa première année de vie a une courbe de croissance régulière et très importante. A partir du treizième mois cette croissance diminue progressivement jusqu’à 14 ou 15 ans pour beaucoup, jusqu’à 20 ans pour les plus chanceux.
Mais pas pour Georges.
I
A 12 mois, Georges faisait 85 cm pour 30 kg, et déjà, ses chutes répétées impressionnaient ses proches lors de ses premiers pas. Son père, un solide gaillard du Middle West était fier d’avoir engendré un fils bâti à l’américaine : grand, gros, blond et prêt à dévorer la planète. Il avait épousé en secondes noces une fille comme lui, modelée au Coca Cola et aux cheeseburgers aimant la musique Country et les 4x4 Chevrolet. Neuf mois après leur première rencontre naissait le petit Bush, et le père, admirateur du Président, n’avait rien trouvé de mieux à faire que de prénommer son fils Georges. Georges Bush. C’est malin !
Vers 3 ans, à la visite médicale obligatoire pour l’entrée à l’école, seul le pédiatre s’étonna un peu des mensurations de Georges : 1,5 m et 68 kg. Le toubib tenta en vain d’alerter la mère sur les dimensions peu ordinaires de sa progéniture, mais pour les parents il était normal que Georges Bush soit grand et fort.
Autant l’enfant était physiquement impressionnant, autant il développait un caractère doux et paisible. Une « sale tare » héritée du grand-père maternel, répétait inlassablement son père, déçu de n’avoir pas fabriqué un tueur. Aussi, la première année d’école se passa sans problème. Georges était certes très grand, mais il devint l’ami des petits, et sa gentillesse en faisait un compagnon de classe idéal : un gros nounours.
II
Les ennuis commencèrent vers 4 ans et demi, lorsqu’il dépassa en taille et en poids son père. Il est vrai qu’un mètre quatre-vingt dix et quatre-vingt douze kilos pour un enfant de 4 ans, c’est assez rare. Mais ce ne fut pas tant sa taille qui gêna son père, mais bien le fait qu’il était désormais plus grand que lui : il ne pouvait plus le « corriger » comme bon lui semblait, craignant à juste titre un retour de manchette. Face à des mains de 28 cm, l’agressif devient zen. On se décida donc, en fin d’année à ramener l’enfant chez le médecin, qui ne l’avait pas vu depuis plus de deux ans.
Dans l’Amérique profonde et, en l’occurrence ici elle est très profonde, les médecins sont accoutumés aux excentricités génétiques. Chaque toubib a eu son lot de tarés, de trisomiques, d’obèses, d’albinos et de dégénérés, mais, là, 30 années de bons et loyaux services dans le trou du cul de la première puissance mondiale ne suffirent pas au docteur de famille pour encaisser la visite de Georges. A la toise, qu’il fallut refaire pour la circonstance, l’enfant atteignait 2m 14 et à la balance (qui elle, restait aux normes américaines) 106 kg. Le bon toubib se précipita à son bureau et, la tête dans les tiroirs, chercha un graphe pédiatrique de croissance.
Après de rapides calculs il regarda madame Bush mère (le père n’allait jamais aux visites médicales, il avait horreur des intellectuels) et dit bêtement :
- Madame, votre enfant est trop grand !
Bien vu.
- Je ne voudrais pas trop m’avancer, mais la courbe de croissance de votre fils ne suit pas exactement la tendance attendue. Disons même qu’il dépasse assez largement les prévisions pourtant élaborées par des gens dont le sérieux ne saurait être mis en doute.
Georges, allongé sur le lit d’auscultation s’était endormi, suçant son pouce (11 cm), ses pieds dépassant sur le bureau du médecin.
- Mis à part ça, Georges est en parfaite santé. Il serait cependant assez urgent de confier son « cas » à quelques confrères que je me fais fort de prévenir si vous l’acceptez bien entendu.
La mère, était-ce son poids conséquent ou son esprit inconséquent, n’avait pas bougé, pas sourcillé, pas tout compris.
- Oh la, y faut d’abord que j’en parle à mon mari. Il aime pas bien les examens vous savez, à l’usine, y disent que ça peut amener le cancer.
La réponse fut « non », ou plutôt « fuck » que la mère interpréta à juste titre comme un non et la vie continua à s’écouler au rythme des bières et des moissons et Georges continua à grandir au rythme des pantalons qu’il fallait désormais changer toutes les deux semaines au grand désarroi du budget familial.
III
Lorsque Georges souffla ses 10 bougies, il ne vivait déjà plus dans la maison depuis quelques mois. Son père, bricoleur et débrouillard, avait récupéré des bâches imperméables et solides à la station d’équarrissage et avec l’aide du voisin avait aménagé une sorte de chapiteau au fond du jardin, où, avec les moyens du bord on avait, à la hâte, construit un vague lit, un semblant de chaise, un bout de table. Faut dire que Georges avait depuis belle lurette explosé le record mondial (la fierté de son père) de taille humaine et, du haut de ses 3 m 77, il traînait tant bien que mal ses 200 kg.
Depuis longtemps aussi il avait du quitter l’école. Deux fois il avait fallu refaire le linteau de la porte d’entrée qui n’avait pas supporté la tête de Georges, c’était plus que pouvait en supporter le directeur.
Le pick-up Chevrolet pouvait encore vaguement contenir le Georges, uniquement à l’arrière bien entendu. A 11 ans, il ne le put plus.
Plus de ballade en voiture, plus d’école, plus de télévision (restée dans la maison), Georges n’avait d’autre occupation que de se regarder grandir.
Il n’avait pas non plus à proprement parlé d’ami. Une foule de curieux se pressaient devant sa tente, mais c’était plus pour admirer le phénomène et, trop souvent pour s’en moquer que pour lui signifier une quelconque amitié. Même de quatre mètres, un enfant de 11 ans reste un enfant.
Alertés par la liesse populaire et la renommée qui dépassaient désormais les frontières du pays, quelques éminents spécialistes de la croissance humaine (il y en a !) se succédèrent aux pieds de Georges. Il faut dire qu’il y avait de la place : il chaussait du 88.
Biométriciens et pédiatres tombèrent d’accord : Georges conservait une courbe de croissance sur le modèle des premiers mois d’existence, sans diminution du taux, et ce, depuis 10 ans. Bien entendu jamais pareille évolution n’avait été précédemment enregistrée dans toute l’Histoire de l’Humanité avec des grands H, si l’on exceptait certaines légendes grecques ou mayas qu’on avait toujours considérées comme des légendes.
A nouveau une cohorte de chercheurs médicaux proposa d’étudier Georges au plus près dans un centre tout spécialement conçu à son attention. Ses parents d’abord réticents finirent par accepter, non pas pour des raisons éthiques mais bien économiques : Outre les vêtements qu’il fallait changer trop régulièrement, le chapiteau qu’il fallait rehausser presque quotidiennement, Georges était doté d’un appétit en rapport avec son poids : déraisonnable.
Sa mère, habile couturière tenta pendant quelques années d’habiller son fils avec ce qui ressemblait de moins en moins à des vêtements, son père acheta quelques mois des carcasses de bœuf qu’il mettait à cuire dans un bassin, mais le minimum vital pour des petites gens devint très vite le maximum négociable pour un gamin de plus de quatre mètres. Une simple paire de chaussure nécessitait deux paires de pneus qu’il fallait changer tous les trois mois. Aussi, lorsque les toubibs proposèrent de prendre en charge les frais « d’agrandissement » du gamin accompagné d’une bonne rente de location pour l’observation du petit, les Bush finirent par céder.
Un superbe camion fut aménagé pour le transport du phénomène dans de bonnes conditions, et, un soir d’été, quelques jours après son douzième anniversaire Georges quitta le foyer familial, les larmes aux yeux. Sa mère vit disparaître le camion depuis le palier de la vieille maison serrant dans ses bras le dernier slip qu’elle avait tricoté pour son grand bébé ; son père, déjà occupé à démonter le chapiteau répétait inlassablement « fuck, fuck, fuck… ».
IV
A 300 Km de là, un hangar prêté par l’armée avait été réaménagé pour accueillir le phénomène. Trois chercheurs avaient été désignés pour s’occuper en permanence de l’enfant : un biométricien, un pédiatre et un psychiatre, auxquels il fallait ajouter 3 cuisiniers, 4 couturières et une demi-douzaine de « bricoleurs » capables de pondre un lit de 5 ou 10 m de long avec 3 planches ou une brosse à dents XXXL avec une meuleuse de chantier.
De toute façon les spécialistes tombèrent d’accord sur le fait que la puberté du garçon marquerait un coup de frein définitif à sa croissance extraordinaire.
Erreur.
Lorsqu’advinrent les poils pubiens, les poussées hormonales et les envies nocturnes Georges venait d’avoir 15 ans. Du haut de ses 5m 40 et de ses 296 kg sa première éjaculation fut filmée en direct et circula, à prix d’or sur tous les réseaux pornos du web. L’un des toubibs (sûrement le psychiatre) était corruptible ! A l’âge de la sexualité naissante où l’on ne sait pas quoi faire de son corps et où tout se cache, Georges fit les choux gras de millions d’internautes.
Mais que de frustrations n’avait-il déjà pas vécu. Considéré désormais comme un cobaye tout ce qu’il produisait de liquide ou de solide avait été analysé, toutes les expériences tentées, toutes les épreuves endurées. Le hangar dans lequel il croyait trouver un minimum de tranquillité était en fait une vaste verrière où chacun de ses gestes était épié, décortiqué. Sa seule joie, un peu vaine fut de voir naître peu à peu la panique dans les faits et gestes de ses geôliers : puberté ou non, Georges ne s’arrêtait pas de grandir. Le jour de sa majorité il faisait 6m37 et 353 kg. C’est grand, même pour des scientifiques alliés à des militaires.
Deux problèmes se posèrent dès lors : le budget alloué au programme d’étude de Georges baptisé « Big-Joe » ne suffisait plus à couvrir les frais d’évolution du jeune homme. Le hangar devint trop petit, le renouvellement des meubles et des vêtements s’essouffla, les cuisiniers se suicidèrent. L’aide de l’Etat pourtant demandée avec insistance resta sans réponse. On ne peut pas entretenir en même temps une armée en campagne aux quatre coins du monde et subvenir aux besoins d’une poignée d’illuminés dédiés à l’étude d’un jeune crétin qui avait décidé de ne pas s’arrêter de grandir ! Même s’il s’appelait Georges Bush !
Mais surtout, Georges, désormais, était majeur et plus rien ne l’obligeait à rester cobaye, il pouvait partir. Puisque depuis plus de 7 ans le monde le voyait, à lui, maintenant de le voir, et déjà, il le voyait de haut !
V
Un petit matin d’hiver, Georges dit adieu à ceux qui avaient été ses pères durant ces années en cage. Pas question de les serrer dans ses bras ni même de leur offrir une bonne poignée de main, il avait largement dépassé les 15 m de haut et se furent des adieux plutôt platoniques, bien tristes pour le jeune homme, bien réconfortant pour ses « encadrants », qui allaient enfin pourvoir respirer un peu !
George n’emporta pas de bagages, à quoi bon s’encombrer de vêtements qu’il ne pourrait plus porter d’ici quelques semaines.
Il prit la route de l’Ouest, celle qui passe à travers les déserts, les montagnes sauvages, enfin à travers tous ces endroits où Georges risquait le moins possible d’attirer l’attention ou d’écraser passants ou voiture de son pas lourd, mais fragile.
Le seul avantage de sa taille était qu’il voyait loin. Mais au sens propre seulement, car l’avenir de Georges s’amenuisait à mesure que son corps grandissait.
Dormant sur un lit de forêt, s’abreuvant aux cascades qui n’étanchaient jamais sa soif, déjeunant de quelques bœufs ou cerfs chapardés par ci par là, il progressa à pas de géant vers le soleil couchant. Sa solitude était à la mesure de ta taille : immense.
Au bout de quelques semaines d’errance il atteint les côtes du Pacifique. Que faire ? Rebrousser chemin ne menait à rien et il avait déjà défiguré une bonne partie du pays sur son passage. Dans un sursaut de mépris ses congénères auraient été capables de lui balancer tout leur stock de munitions, histoire de rejouer « King Kong ».
Il s’enfonça dans l’eau froide du grand océan, jusqu’à ce que ses pieds ne touchent plus le fond. Et, outre le fait qu’il pouvait enfin se mouiller l’intégralité du corps, celui-ci, si lourd, si pesant, si épuisant flottait comme un bouchon, de plusieurs tonnes peut-être, mais un bouchon quand même. Alors, pour la première fois depuis très longtemps : Georges sourit. Le soleil se couchait. Georges était tellement bien dans cette eau pourtant froide qu’il décida de nager, nager et nager encore vers le soleil couchant.
VI
Il fut réveillé par des cris à peine audibles. Etendu sur une plage qu’il ne connaissait pas, des centaines de personnes de « taille normale » l’entouraient. Mais ce qui n’était pas normal c’étaient leurs tenues, sorties tout droit des récits moyenâgeux ou des contes des milles et une nuits.
Il se redressa, leur sourit et tous sans exception l’applaudirent et hurlèrent de joie.
L’un de ces étranges personnages, celui qui semblait être le chef ou le roi s’approcha de Georges et lui parla dans une langue totalement inconnue aux oreilles du géant.
Georges se frappa la poitrine et dit : « Georges, moi c’est Georges ! »
Et Georges fut traité comme un roi, ou plutôt comme un Dieu. Le séjour dans l’eau, étrangement avait stoppé sa croissance et ce bon peuple qui était désormais sa nouvelle famille, lui construisit une gigantesque maison dans une falaise, détourna une rivière pour ses besoins en eau courante, élevèrent des troupeaux entiers dédiés à son appétence, et lui prodiguèrent soins et amour.
Georges vécu des jours, des mois, des années remplies de bonheur et mourut à l’âge très honorable de 97 ans en ayant tout oublié de ses origines yankees. Le petit peuple lui fit un enterrement magnifique et, sur sa tombe de près de 150 m de long, ils gravèrent ce nom : GULLIVER.
Ils n’avaient jamais réussi à comprendre qu’il s’appelait Georges, Georges Bush.