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...Chez Francky

Balle perdue

balle   Balle perdue

Il s’était tiré une balle dans la tête.

Il s’était raté.

Lorsqu’il se réveilla après une semaine de coma, on lui expliqua que la balle de 9 mm s’était logée dans le lobe frontal et qu’il aurait quelques séquelles, mais très certainement sans conséquences graves.

Déjà, il pouvait parler, bouger, voir, entendre, c’était beaucoup.

Mais une migraine épouvantable lui vrillait la tête en permanence, et tous les calmants, neuroleptiques et autres drogues qu’on lui administrait n’y changeaient rien. Son cerveau était pris dans un étau qui semblait ne plus jamais pouvoir se desserrer.

Il ne savait pas pourquoi il avait tenté de se suicider, aucun souvenir de l’avant brûlure, mais son goût pour la vie reprenait peu à peu ses droits. On l’autorisa à sortir de l’hôpital au bout de quinze jours d’observation. Le médecin responsable de son cas lui fit jurer de ne plus recommencer, de bien prendre ses médicaments, et de revenir le voir périodiquement pour une thérapie.

Il jura.

Il retrouva son travail, sa famille, son monde.

Au début tout allait à peu près normalement, si ce n’était ces migraines lancinantes qui ne le quittaient plus. C’était surtout la nuit que les douleurs étaient les plus fortes.

Puis peu à peu le sommeil se fit plus rare. Il ne dormait plus que trois ou quatre heures par nuit. Ses rêves étaient peuplés de cauchemars épouvantables. Il se réveillait en hurlant, trempé de sueur avec dans l’œil des images d’horreur encore imprimées. Cadavres déchiquetés, monstres hurlants se bousculaient dans son esprit meurtri.

Il en parla au docteur qui n’eut à lui offrir pour tout réconfort que morphine et petites pilules de toutes les couleurs.

Il prenait jusqu’à trente cachets par soir qui l’abrutissaient, le droguaient mais en aucune façon chassaient ses peurs. Les fantômes, cauchemars et visions d’angoisse indescriptibles se faisaient de plus en plus présents dans ses nuits blanches.

Il dut se résoudre à ne plus dormir du tout.

Tout pour échapper au sommeil. Il tentait bien de se reposer quelques minutes parfois, mais il redoutait tellement l’arrivée des rêves qu’il ne fit plus que somnoler.

Bien évidemment son état physique en subit les conséquences, moins il dormait, plus il maigrissait, se séchait, se flétrissait.

Au bout de quelques semaines il n’était plus qu’un zombie, vivant dans un état second, entre calmants pour ne pas avoir peur et excitants pour ne pas sombrer dans les cauchemars, toujours fatigué, toujours angoissé à l’idée de risquer le sommeil.

Il dut quitter son travail, et passer ses journées et ses nuits à errer seul dans les rues d’une ville qui ne le reconnaissait plus. Sa famille ne put supporter cet être perpétuellement anxieux, devenu invivable, et sa femme qui, au début tenta de comprendre, finit par demander le divorce. Elle l’obtint, ainsi que la garde exclusive des enfants, son ex-époux ayant été reconnu inapte à la vie de famille, voir à la vie tout simplement.

Désormais, il était vraiment seul, désespérément seul.

Aucun psychiatre ne voulu le considérer comme malade mental, la description de ses cauchemars n’entrant pas dans les diagnostics reconnus, il ne put même pas obtenir un internement, même provisoire.

Il n’était pas dangereux pour la société, n’avait commis aucun acte de malveillance, aucune crise de folie meurtrière, et gardait pour lui l’horreur qui rongeait peu à peu son cerveau.

Et l’horreur se développa.

Ne voulant plus, ne pouvant plus dormir, peu à peu ses hallucinations s’éparpillèrent au grand jour.

Ainsi, au cœur de ses trop longues journées, il était tout-à-coup électrocuté par des visions de cauchemar. Pendant de longues minutes, plié en deux de douleur, la tête dans les mains il était broyé par des images d’apocalypse, de torture, de mort.

Son médecin ne voulu toujours pas l’interner, les multiples scanners et électro-encéphalogrammes ne relevant aucune lésion. De plus il n’était déjà plus qu’une ombre et ne pouvait plus payer les séances de soins. Le docteur s’obstinait à croire que son patient subissait un léger trouble passager, du très certainement au choc post-accidentel. Il ne l’intéressait plus.

Mais dans son cerveau au bord de l’abîme ce n’était pas un simple trouble, c’était le désordre absolu, l’horreur ultime. C’était tout ce que l’esprit humain pouvait imaginer d’épouvantable, de terrible, d’insoutenable.

Il ne pouvait plus vivre ainsi, ni même survivre.

Un ultime soir de désespoir il fractura la vitrine d’un marchand d’armes, empoigna un revolver 9 mm, une boite de balles, bien qu’un seule lui eut suffit, pensait-il, et s’enfuit à travers les ruelles sombres.

Un ultime soir de désespoir, après une ultime crise d’hallucination il sortit le pistolet de sa poche, engagea une balle dans le chargeur, appuya l’arme sur sa tempe et pressa la détente.

Il eut juste le temps de sentir la brûlure et ne perçu même pas le bruit de la déflagration.

 

        

Il s’était tiré une balle dans la tête.

Il s’était raté.

Lorsqu’il se réveilla après une semaine de coma, on lui expliqua que la balle de 9 mm s’était logée dans le lobe frontal et qu’il aurait quelques séquelles, mais très certainement sans conséquences graves…

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