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...Chez Francky

Starcoït

star   Starcoït

 

Lorsque les sirènes hurlèrent, Tom était encore à moitié endormi. Les directives des hauts parleurs, et les gyrophares installés un peu partout sur la base étaient pourtant précis :

“Aux postes de combat !!“

Le lieutenant Tom venait à peine de sortir de l’école de pilotage, et voilà que déjà, il devait se préparer pour son premier et dernier assaut. D’instinct, il se remémora toutes les phases de préparation, tous les cours de maintien en vol, toutes les astuces pour tromper l’adversaire. D’instinct, il était prêt.

“Première et deuxième équipe en salle de briefing immédiatement !”

Il régnait sur la base une agitation incroyable. Les pilotes se précipitaient vers les hangars ; les équipes de soutien au sol préparaient les rampes de lancement, alignaient les appareils, vérifiaient une dernière fois les équipements.

Lorsque Tom entra dans la salle, les autres membres de son escouade étaient déjà au garde-à-vous, face au Colonel, attendant les ordres. Il reconnu quelques camarades de promo : Angie, Dick, et bien sur Alex, sorti Major, dont les exploits du père marquaient encore toute la compagnie. Ces combattants, Tom ne les avait que très peu connu, on n’a guère de temps pour l’amitié dans ces écoles militaires, mais appartenir à la même promotion, ça crée forcément des liens.

Il y avait là aussi quelques vieux pilotes, qui n’avaient guère plus d’heures de vol dans les pattes, et seuls leurs uniformes, jaunis par le temps, les distinguaient des promotions récentes. Pour eux hélas, très peu de chance d’atteindre l’objectif.

       

Cette fois, le Haut Commandement avait mis le paquet. Le gros des troupes de la première vague comptait au moins dix mille pilotes prêts à tout pour atteindre leur objectif. La deuxième équipe avait été renforcée, notamment par quelques uns des meilleurs tireurs. On avait gardé un trop mauvais souvenir de la dernière attaque où pas un seul pilote n’avait atteint son but, et où toute une génération avait été sacrifiée inutilement. Le prix de la guerre.

Cette fois, tout avait été vérifié dans les moindres détails. Il ne s’agissait pas d’un exercice. L’objectif était ciblé, les conditions optimisées, aucun obstacle en fin de piste, le champ de bataille bien désigné, le conflit inévitable.

Tom était de la première salve, celle du sale boulot. A l’Ecole on les appelait “les nettoyeurs”, un travail de sape : percuter l’adversaire de front, éliminer tous les missiles et les bases terrestres ennemies, favoriser par n’importe quel moyen l’avancée des troupes régulières. Tom savait tout ça par coeur. Il savait aussi qu’il n’avait aucune chance de s’en sortir. Trop dur, trop loin, trop long. Il valait mieux être de la deuxième équipe, celle des vétérans. Mais, c’était son destin, la mort préfère la fougue de la jeunesse, c’est plus sportif.

A moins d’un contre ordre de dernière minute, il vivait ses derniers instants, il le savait, il l’acceptait.

 

Le Colonel harangua ses troupes d’un air autoritaire :

“Messieurs, dans quelques secondes vous effectuerez votre première mission ; vous représentez l’avenir de ce pays, ne nous décevez pas !“

Il omit de dire que c’était aussi leur dernière mission...

Facile pour lui. Il risquait au pire une retraite de Colonel, au mieux sa première étoile de Général. Combien de Colonels avaient, avant lui prononcé ce même discours ? Combien de morts seraient encore nécessaires pour “l’avenir de ce pays” ?

Lui ne partirait pas dans l’espace infini affronter la flotte adverse dans un combat à cent contre un. Lui ne finirait pas déchiqueté par l’Etoile et ses pièges.

« Je vous rappelle une dernière fois vos directives de combat : A/Passage en vitesse supra sonique dès le décollage. B/Navigation aux instruments jusqu’en sortie de base où vous serez guidés par nos équipes au sol. C/En territoire ennemi, vous n’aurez plus aucun repère ; fiez-vous à votre instinct. D/Economisez votre carburant, la route est longue jusqu’à l’Etoile. E/Une fois vérifié sur vos radars que la base adverse est bien à portée de tir, placez-vous en orbite basse et commencez les attaques en vrille. Messieurs, postez-vous en bout de piste pour décollage imminent. Mes enfants, que la force soit avec vous »

Le dernier garde-à-vous claqua un peu plus fort que les précédents, et déjà les premières lignes étaient en position, attendant la sirène ultime, l’ordre de décollage.

 

Le lieutenant Tom, s’ajusta, vérifia l’état de son appareil, pria pour que les commandes lui répondent. Pas question de parachutes, aucun des appareils n’en était équipé, aucun retour à la base possible. Devant, ils étaient des milliers comme lui. Devant : c’était sa chance. Mais ils étaient aussi des milliers derrière, se bousculant, se dévisageant, comme s’ils ne faisaient déjà plus partie de la même armée, comme si, déjà, c’était “chacun pour soi”. La bataille serait brutale, impitoyable, le meilleur, et uniquement le meilleur survivrait.

Un son assourdissant entraîna toute la première salve en formation serrée vers le combat. La vitesse, la chaleur, le nombre rendait impossible toute tentative de raisonnement, de tactique. Ils n’étaient même pas encore sortis de la base que l’hécatombe avait commencée : faux départs, écrasements au décollage, percussions en vol, des centaines de camarades ne verraient jamais le combat aérien qui allait se jouer.

Tom se laissa tout simplement porter par le flot des vaisseaux de combat jusqu’à l’entrée du territoire ennemi. Il ne comprit pas comment il avait réussi à sortir sans dommage de la piste d’envol. Bien sûr, sa carlingue était un peu froissée, bien sûr la chaleur avait jauni son bel uniforme mais il était là, entier.

 

De même, il ne se rendit pas tout de suite compte qu’il était sorti, qu’il était déjà au dessus des lignes ennemies, que la bataille avait commencée.

Tous ses instruments étaient muets, et même si on lui avait appris et répété les conditions de vol à l’instinct, il ne pu retenir sa peur devant cette immensité sombre et froide qui s’ouvrait à lui. C’était plus grand, plus noir, plus fou que tout ce qu’il aurait pu imaginer. Il tombait.

De tous côtés, seuls les crépitements du champ de bataille le ramenaient à la triste réalité. Il fallait qu’il engage le combat, il lui fallait chercher, lui aussi, à atteindre l’Etoile. Aller vite, très vite, le plus vite possible. Oublier les directives du Colonel, foncer vers le but, sa seule chance de survie.

Les pièges mortels des parois du champ de bataille fonctionnaient à plein. La route de l’Etoile étaient jonchée de cadavres, pour certains encore palpitants, d’autres déchiquetés flottaient mollement dans une orbite de mort. Non seulement il fallait éviter les pièges de l’ennemi, mais il fallait aussi se faufiler entre les carcasses inertes des vaisseaux alliés.

Les salves adverses fusaient de toute part, et plus l’escadrille déjouait les tirs, plus la contre attaque était violente. L’ennemi déployait des trésors de ruse pour repousser l’assaut. Vaisseaux assassins, missiles destructeurs, jets corrosifs, tout était tenté.

Tom senti ses forces l’abandonner lorsqu’un bip radar l’avertit de la proximité de l’objectif. Il vit l’Etoile, enfin.

Ils n’étaient plus qu’une poignée à avoir franchi les barrages et les tirs d’artillerie. Certains tournaient en orbite basse autour de l’Etoile, d’autres, déjà, s’attaquaient à la forteresse, sans grand succès. La plupart étaient morts d’épuisement à l’approche du but.

Les forces adverses s’étaient repliées vers leur base, et formaient un dernier rempart contre le reste des forces alliées, à bout d’espoir et de courage.

 

Tom ne réfléchit même pas, il ne s’arrêta pas en orbite comme l’avaient ordonné ses aînés, il passa à côté de ses derniers compagnons, et, entrainé par sa vitesse, en un millième de seconde décida de tenter le coup de force.

La masse de l’Etoile était énorme, inimaginable, parcourue de canyons, de collines, changeant de couleur, et bien qu’immobile, elle semblait agitée de spasmes. Qu’était-il, lui, le lieutenant Tom, petit pilote de combat aérien face à cette formidable forteresse qu’il fallait attaquer ? Le bourdonnement d’un moustique dans un dos d’éléphant

Et pourtant Tom fonçait vers elle, et pourtant il allait s’écraser, de toute sa force, de tout son désespoir. Lorsqu’il se mît en vrille, il ne perçu plus rien, à peine le vrombissement des piqués du reste de l’escadrille lui parvenaient-ils en un écho sourd. Il jouait sa dernière carte, il allait mourir. Groggy par sa vitesse et les tourbillons, il ne senti qu’à peine le choc.

Mais il était bel et bien au contact de l’Etoile. Lui qui croyait s’écraser dans un fracas mortel venait tout simplement de s’enfoncer dans la surface de l’Etoile. Bloqué, étouffant, presque paralysé, il ne pu que sentir sa sourde solitude.

 

Et maintenant, que devait-il faire?

Suivre son instinct de guerrier.

Alors, dans un dernier effort, il décida de sacrifier tout l’arrière de son bel et majestueux vaisseau. Mis, une dernière fois son réacteur à plein régime et pénétra tout entier dans l’antre de l’Etoile.

Plus de bruit, plus de douleur, plus de combat. Juste la formidable sensation de flotter sans effort dans un monde chaud et doux, au sein de l’éternelle quiétude de l’Etoile. Il avait réussi, et il su désormais qu’il allait devoir apprendre à vivre avec l’autre, l’ennemie d’hier, l’alliée d’aujourd’hui.

 

A la base, on fêtait dignement la nouvelle. Tous les officiers étaient en tenue d’apparat, et le Colonel, devenu Général réuni à nouveau ses troupes :

« Messieurs, cette fois, nous avons gagné ! Messieurs, c’est un garçon ! »

Applaudissements

 

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