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...Chez Francky

De Trutat à SPOT

De TRUTAT à SPOT : Un siècle de pratiques photographiques dans les Pyrénées. Un siècle d’images de la montagne

Conférence réalisée au Muséum d'Histoire Naturelle de Toulouse le 20 octobre 2011

 

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Bonsoir, et merci d’être là ce soir pour assister à cette conférence que je voudrais comme un voyage en images non seulement dans l’espace géographique du massif pyrénéen, mais également, et à l’occasion de cette conjonction entre l’exposition Trutat du Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse et des 25 ans du satellite SPOT, un voyage dans le temps. Ce que je voudrais mettre en exergue à travers différents exemples ce soir, c’est comment la technique photographique a contribué à façonner l’image de la montagne pyrénéenne, mais également quel usage de l’image peut-on faire pour aider à la compréhension des milieux montagnards. Dire c’est bien. Montrer, c’est mieux. Alors,  modestement, je vais essayer de vous montrer…

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Ma présentation se déroulera en 5 parties qui nous amèneront du début du XIXème siècle jusqu’au-delà du XXIème siècle. COMMENCER, c’est-à-dire la naissance de la photographie, mais également la naissance du pyrénéisme CONQUERIR, où quand les pyrénéistes pourfendeurs de sommets se faisaient photographes. PARTAGER est un chapitre qui retrace l’âge d’or de la carte postale et la naissance de l’image de la montagne. Cette notion de partage de la montagne, nous la retrouverons un siècle plus via Internet et les réseaux sociaux. VOIR nous fait faire un bon de près d’un siècle pour nous focaliser sur l’image de la montagne aujourd’hui à travers Internet et les satellites. Enfin, je conclurai par un petit chapitre CHERCHER, sur l’utilisation scientifique des images pour l’étude de la montagne pyrénéenne et sur ce que nous entreprenons au sein de mon laboratoire.

- COMMENCER -

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Les Pyrénées ne sont pas nées avec les Pyrénéistes, pas plus que la mer n’est née avec les premiers bains ! Mais la prise de conscience du grand public que les montagnes du sud n’étaient pas qu’une barrière infranchissable entre la France et l’Espagne est bien née des Pyrénéistes, ou plus exactement un peu avant …Dans les pas de  Louis François Elizabeth Ramond de Carbonnières. C'est un des " pères fondateurs " du Pyrénéisme qui a découvert les Pyrénées Centrales lors  d’une cure à Barèges en 1787. Il parcoure les zones les plus élevées de Gavarnie à la Maladetta pour évaluer l'état des glaciers mal connu à l'époque et publie en 1789 un ouvrage : "Observations faites sur les Pyrénées". Géologue, Botaniste, il organisera une expédition au Mont Perdu en 1797, expédition qui marquera le début de la conquête des sommets pyrénéens.

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D’un côté un élan vers l’escalade, l’exploration scientifique et sportive. De l’autre dans les pas de la noblesse qui vient déjà en cure ou en villégiature aux pieds des montagnes, se forge le double visage des Pyrénées. Par exemple, dès 1818, Lady Winifred Fortescue, romancière et artiste à ses heures de sa très gracieuse majesté (son mari était en effet Si John Fortescue, archiviste au château de Windsor et historien de l’armée britannique), en voyage dans les Pyrénées dessine de très belles estampes des piémonts et fait découvrir à l’aristocratie anglaise les superbes paysages pyrénéens.

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Et  en 1898, apparaît le Pyrénéisme sous la plume d’Henri Béraldi : « L’idéal du pyrénéiste est de savoir à la fois ascensionner, écrire, et sentir. S’il écrit sans monter, il ne peut rien. S’il monte sans écrire, il ne laisse rien. Si, montant, il relate sec, il ne laisse rien qu’un document, qui peut être il est vrai de haut intérêt. Si - chose rare - il monte, écrit et sent, si en un mot il est le peintre d’une nature spéciale, le peintre de la montagne, il laisse un vrai livre, admirable. » Il reste à ce peintre à devenir photographe. Ce qui ne sera pas le cas de Béraldi qui se méfie de cette technique…

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Alors tout commença aussi avec l’invention de la photographie. Ce cliché que certain connaissent est ce qu’on considère comme étant la première photographie : une plaque d’étain recouverte de bitume de Judée exposée durant plusieurs jours à la fenêtre de la chambre de la maison d’un certain Nicéphore Niépce, inventeur de son état et notamment du procédé consistant à extraire le sucre de la betterave ! Nous sommes en 1827. Il cherche vainement à vendre son invention aux anglais. Personne n’en voit l’utilité. Un homme, pourtant : Louis Jacques Mandé Daguerre, un homme de spectacles visuels, va être conquis par l’invention et convainc Niepce de perfectionner la technique et de la diffuser. En 1833, Nicéphore Niepce meurt et ce n’est que 6 ans plus tard que l’Académie des Sciences officialise et offre à l’humanité son invention qui sera baptisé « daguerréotypes »

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Daguerre décide de poursuivre les recherches sur les propriétés photochimiques de l'iode. De 1835 à 1837, il va progresser sur les méthodes de développement et de fixation des images . L'engouement du public est immédiat. Le daguerréotype se répand rapidement dans en France, en Europe, puis dans le monde entier. Il connait un immense succès pendant une dizaine d'années, avant d'être détrôné par d'autres procédés. La commercialisation des chambres et du matériel nécessaire à ces images photographiques firent la fortune de Daguerre.

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Des montagnes, des procédés chimiques permettant de capturer la lumière : l’aventure de la photographie pyrénéenne peut commencer. De ce qu’on connaît, de ce qui a traversé le temps, on considère que la première photographie des Pyrénées est réalisée par Paul JEUFFRAIN, en 1850, à Cauterets. Ce manufacturier photographe est connu notamment pour ses calotypes d’Italie et d’Algérie

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Des tous débuts de la photographie dans les Pyrénées, si nous n’avons pas la photo de Jeuffrain à Cauterets, nous avons les clichés réalisés par un grand photographe pyrénéiste : Farham Maxwell-Lyte. Farnham Maxwell-Lyte est anglais, ingénieur chimiste et, à partir de 1853 s’installe à Luz  puis à Pau, parmi une importante société anglaise où il rencontre un groupe de photographes. En 1854, il est parmi les fondateurs de la Société française de photographie et ses paysages pyrénéens lui valent une médaille d'argent à Bordeaux en 1859. Oui, il y avait déjà des concours photographiques en 1859 !! En 1864, il fait partie des fondateurs de la société Ramond, installée à Bagnères-de-Bigorre, société savante dont le but est l’étude scientifique des Pyrénées. En tant que photographe, Maxwell-Lyte apporte de nombreux perfectionnements à la technique. Il invente notamment une méthode pour insérer dans une photographie de paysage un ciel rapporté, ceci pour pallier les problèmes de sensibilité des plaques au collodion. Premiers trucages

 - CONQUERIR -

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Désormais les techniques photographiques seront au service de l’exploit sportif, de la conquête des sommets. Les Pyrénées existent, pas encore comme lieu de villégiature, déjà plus comme frontière romantique du XIXè siècle. Non, il sont une barrière à franchir, un obstacle à dompter avec la photographie pour témoin. Certains hommes qui s’y attaquent seront non seulement d’excellents photographes, mais également de rudes montagnards. Eugène Trutat sera de cette aventure

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Avec les cordes et les piolets, il faudra aussi emporter désormais les chambres de prise de vue, les plaques de verre, tout le matériel pour immortaliser l’instant de la conquête. Photographier en montagne est une véritable performance où il faut parfois déplacer plusieurs centaines de kilos de matériel, et ce, jusqu’à l’invention des plaques au gélatino-bromure en 1878

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Alors, bien sur, quelques mots sur Trutat et sur l’incroyable talent de ce pyrénéiste photographe. Né en 1840, le jeune Eugène suit des études au Collège des Jésuites de Toulouse. Il prend goût aux sciences naturelles et entreprend des études de médecine qu'il va poursuivre à Paris. Il revient à Toulouse en 1860 pour y achever ses études et participe alors à la création du Muséum d'Histoire Naturelle de cette ville. Il est membre de nombreuses sociétés savantes, notamment la Société de Photographie de Toulouse dont il est fondateur. Il participe activement à l’exploration des Pyrénées, principalement autour de Luchon et de l'Ariège. Il réalise des études sur les glaciers, mesurant leur progression, avec Maurice Gourdon (Aneto et Maladeta). Il a commencé à pratiquer la photographie en 1859 et il publie régulièrement des ouvrages techniques sur le sujet. Il est l’auteur de près de 15 000 photographies, dont des autochromes (photographies en couleur). C’est un hommage personnel que je veux rendre ici ce soir à Trutat pour une raison que vous allez comprendre à travers ce que Beraldi disait de lui : « Trutat a été l'apôtre, le vulgarisateur de la conférence pyrénéiste ; conférencier sobre et élégant, comme un professeur qui a la longue expérience d'un cours devant un auditoire empressé (au Muséum de Toulouse), c'est lui cependant qui a tenu pour le vrai principe de la conférence à projections : peu de paroles, et surtout pas de considérations préliminaires, le public en piaffe d'impatience : la lanterne magique tout de suite ! Et voilà ce qu'est la conférence à projections, c'est la projection avec le moins de conférence possible. C'est un divertissement entré dans les mœurs. »

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L’autre photographe toulousain resté célèbre, à juste titre de cette fin du XIXème siècle, c’est bien sur Georges Ancely, même s’il est plus connu pour ses photos de bains de mer à Biarritz que pour ses vues des Pyrénées. Né en 1847 d’une famille d’horlogers, il est tour à tour archéologue, voyageur, négociant, et bien sur photographe. Il existe peu d’informations sur Georges Ancely qui nous laisse pourtant de formidables images sur la vie quotidienne des toulousains, mais également de ses expéditions dans le Pyrénées. Il décède en 1919, une partie de son fonds photographique est confié à Privat, puis au musée Paul Dupuis.

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Mais, de ces précurseurs, de ces photographes qui ont bâti l’image des Pyrénées, je pourrai également citer Maurice Gourdon, Félix Régnault, Bertrand de Lassus, Jean Lataste, Ludovic Gaurier, Georges Ledormeur, ou encore Chafré. Tous pyrénéistes convaincus, tous amateurs de sommets, tous regardant la montagne à travers l’œilleton de leurs appareils photos en cette fin du XIXè, en ce début du XXème siècle. Mais que photographiaient-ils ? Quelle image de la montagne façonnaient-ils ?

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Bien évidemment, les images correspondront d’abord au besoin d’immortaliser les exploits sportifs. Les photographes, tels des journalistes sportifs placeront leurs appareils le long d’une cordée difficile, mais aussi aux sommets. Peu à peu naitra l’art de la mise en scène photographique, mais également les trucages. Les participants, se font acteurs, les explorateurs comédiens. Le matériel photographique est monté à dos d’homme. On improvise un pied suspendu à une corde au dessus du vide. On développe directement au camp de base dans une tente de fortune en espérant que la plaque de verre aura survécu. Déjà, on parle de l’homme sur la photo qui a vaincu le sommet, et pas du photographe qui était avec lui !

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Tout naturellement le photographe va s’intéresser également aux hommes qui font les sommets. Portraits des explorateurs en situation, portraits des guides qui les accompagnent. Le studio de prise de vue est né. Chacun veut son portrait. Chez Trutat, ce sera même un fonds de portraits anthropométriques…

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Il y aura également des photographes pour saisir l’exploit technique et scientifique tel que la construction de l’Observatoire du Pic du Midi. C'est à l'initiative de la société Ramond que l'observatoire du Pic du Midi est créé. Maxwell-Lyte effectue lui-même des observations avec une grande lunette astronomique, et réalise la première opération astronomique : les photographies de l'éclipse de soleil du 18 juillet 1860. A partir de 1875 les premières fondations de l’observatoire sont posées, en 1882 les premiers bâtiments sont construits. Mais si l’on s’intéresse aux sommets pyrénéens pour la pureté de leur ciel, une prise de conscience de leur fragilité marque également cette fin du XIXème siècle

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Dès 1841 des opérations de reboisements en montagne sont préconisées par les Ponts et Chaussées. En 1860 des forestiers pratiquent la photographie et en 1887, un enseignement pratique et obligatoire est dispensé aux futurs ingénieurs de terrain. Les fonds dits « RTM » sont d’ailleurs pour nous une source iconographique des plus importantes sur le massif pyrénéen. Une formidable « banque d’images » avant l’heure ! Mais aussi la notion naissante que la montagne est fragile et qu’elle est une ressource à préserver

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Très tôt des ingénieurs des Eaux et Forêts, mobilisés sur les chantiers des travaux de restauration des terrains de montagne, témoigneront à travers les clichés des dégradations de la montagne et des efforts pour réimplanter la végétation. Eh oui, l’environnement et le développement durable ne sont pas des notions récentes. Les hommes des chantiers de restauration des terrains de montagne vont photographier non seulement les chantiers, mais vont également assurer un suivi photographique des évolutions des paysages. Parfois, ils interviennent et témoignent même au moment des catastrophes

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Et puis la montagne se fait loisir. Aux expéditions succèdent les promenades, les familles se déplacent et signe révélateur du changement : les jupons féminins s’invitent sur les clichés. En cette fin du XIXème siècle, les photographes, tout naturellement vont descendre de la montagne. Techniques photographique et sommets pyrénéens sont domptés. La photographie est devenue un métier, un commerce, une formidable source de partage de l’information. C’est à présent le temps de la carte postale.

 - PARTAGER -

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1873 : Première carte postale en France - 1889 : La carte postale représentant la tour Eiffel se vend à 300 000 exemplaires ! Voici donc venu le temps du commerce des photos, mais également celui du partage et de la diffusion des images. C’est le temps de la carte postale, le temps de se forger une idée pour ceux qui ne peuvent voyager. Et l’exotisme de la montagne, bien sur, n’y échappe pas !

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Avec la carte postale, naissent des grands noms de l’édition : CIM, Labouche… Le marché de la carte postale à la fin de ce XIXème siècle est tellement développé que l’on trouve même un grand nombre de petits éditeurs locaux. Un village au fond de l’Ariège, un débit de tabac, un éditeur de cartes postales

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Il n’est pas rare de trouver le même cliché chez plusieurs éditeurs. Parfois les éditeurs (manquant cruellement d’imagination !) reprennent le même point de vue, mais vont jouer sur la mise en scène et sur les éléments insérés dans l’image. Ainsi, sur cette série, la vue sur Laramade est toujours la même (la position du photographe n’a pratiquement pas changée), mais, alors que chez C.Blanc (Editeur de Tarascon) la carte postale ne présente que le village (1), chez Labouche, 3 fois le même point de vue, mais dans un cas avec une calèche (2), dans un autre avec le train (3) et enfin avec la charrette de charbon de bois (4) (avec changement d’orthographe pour Vicdessos / Vic Dessos et pour Laramade / La Ramade!)

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Alors, que montre-t-on de la montagne avec les cartes postales ? Quel message cherche-t-on à faire passer ? Pays d’arriérés ou image d’Epinal ? Paradis encore vierge ou fin du monde dit civilisé ?

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A qui s’adresse la carte postale ? A qui a-t-on le plus de chance de vendre des cartes postales ? Tout d’abord à celui qui vient en cure, en villégiature, en promenade, mais pas encore en vacances, pas encore faire du ski ! Naturellement, les éditeurs se pencheront alors sur les images des centres de cures thermales : Ax-les-thermes, Barbazan, Cauterets, Amélie-les bains. Rappelons que déjà aux XVIIème et  XVIIIème siècles les cures pyrénéennes étaient déjà pratiques courantes, notamment dans l’aristocratie anglaise, et que c’est lors d’une cure que Ramond de Carbonnières à inventer le pyrénéisme.

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De la cure au tourisme il n’y a qu’un pas. Après s’être soigné, on va chercher désormais à voir. Et naissent alors les grands sites Pyrénéens, au premier rang desquels on trouve, bien évidemment le cirque de Gavarnie, mais également la brêche de Roland, le Pic du Midi.

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Puis on se tourne vers ceux qui peuplent la montagne, et là se forge une certaine image des Pyrénées : A travers la circulation des cartes postales, la multiplication des clichés au sens propre et figuré, le grand public se fait une idée de la vie dans la montagne : on est berger ou dresseur d’ours. On circule à dos d’âne. On survit en vendant du charbon de bois… Si la vie est effectivement plutôt rude dans les Pyrénées, les éditeurs de cartes postales vont en renforcer le trait.

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N’oublions pas que c’est encore le temps des colonies. Aux expositions universelles, on exhibe les africains comme des curiosités. Le mythe du bon sauvage perdure en deça des frontières et il va naturellement s’appliquer aux habitants des Pyrénées. On met alors en exergue et véritablement en scène la pauvreté, voir la dégénérescence des montagnards et ce qui apparaît comme discriminatoire et indécent aujourd’hui, n’est qu’exotisme pour l’époque ! Certains personnages apparaissant à plusieurs reprises deviennent même de petites célébrités locales

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Mais si le trait est forcé, c’est aussi le drame social et les épouvantables conditions de vie qui se jouent sur les images Certaines cartes (mais également leur légende) sont assez surprenantes, comme cette image d’enfants légendée « jeunes mineurs et futurs mineurs du Rancié » (Bourg Ed. – Imprimeurs réunis Nancy) ! En dehors de l’aspect quelque peu cynique tel qu’il peut apparaître aujourd’hui, cette carte postale appelle un certain nombre de questionnements sur les conditions de vie dans la vallée (mais pas seulement) en ce début du XXè siècle (date probable du cliché) mais également sur le contexte général de « l’image » du Vicdessos Tout d’abord, le simple fait d’éditer une carte postale représentant des « travailleurs » ou des « enfants de travailleurs » est un acte totalement aberrant de nos jours. Qui enverrait une carte postale (en admettant qu’il en trouve une !!) représentant des enfants travaillant dans une usine de chaussures ou de textile pour illustrer ses vacances en Chine !!! On peut donc penser qu’au début du XXè siècle, le travail de la mine apparaissait aux « étrangers » à la vallée comme une activité « exotique » susceptible d’étonner, voir de « dépayser » (a noter que l’éditeur Bourg semble être à Nancy). C’est aussi tout le contexte de l’édition et de la distribution de cartes postales qui était différent d’aujourd’hui. Dans les premiers temps de son développement, cette activité n’était pas axée quasi essentiellement sur le support photographique pour une correspondance de vacances, de voyage ou de loisir comme aujourd’hui, mais bien comme un substitut à la photographie personnelle : peu de gens possédaient et utilisaient des appareils photos, les cartes postales permettaient de conserver un témoignage visuel de son passage. Dès lors, on comprend mieux l’intérêt d’un tel cliché : ce n’est pas une image que l’on envoie pour « illustrer » ses vacances ou ses voyages, mais bien une photographie pour un usage de collection personnelle. L’autre réflexion que l’on peut faire à la vue de cette carte concerne les conditions de vie et de travail de la vallée à l’époque (si l’on s’en tient à la légende, ce qui est très discutable) : Très tôt les enfants étaient mis au travail et dans des travaux aussi pénibles que la mine. Les quatre garçons au dernier rang semblent avoir autour de 15 ans. « Futur mineur » sous-entend qu’ils n’avaient d’autre avenir (pour les 9 petits garçons). Mais là où la légende est fausse, c’est que l’image présente 7  fillettes et que les filles n’allaient pas à la mine ! Cette carte postale témoigne donc également un phénomène inhérent à toute l’histoire de l’image : ce qui est représenté et l’interprétation qu’on en fait…

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Mais l’image de la montagne c’est aussi, en ce début du XXème siècle, l’image d’une industrie toute puissante et qui promet une richesse partagée. Ainsi, voit-on se multiplier les cartes postales centrées sur le miracle industriel. Ici, par exemple les usines hydroélectriques d’Auzat. On a du mal à imaginer pouvoir acheter et envoyer aujourd’hui une carte poste de type : souvenir de la centrale nucléaire de Golfech ! Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer cette carte postée en 1908 : Je vous envoie cette rose en souvenir des grandes usines d’Auzat

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Toujours sur le mode de l’exaltation de l’empire industriel, une autre carte postale de chez Delpy légendée : « Toutous – Chantiers de fabrication des tuyaux ». Il faut s’attarder sur les dits tuyaux pour y voir littéralement taggé le nom de l’entreprise. Toutous ou les Toutous est un lieu-dit sur les hauteurs de Marc en amont d’Auzat sur l’Artigue. Au dessus de Toutous, un captage a été réalisé. A noter aussi ce qui est particulièrement amusant sur cette carte : la jeune femme sur la gauche, en robe longue, posant « tout naturellement » avec son chien, au milieu des tuyaux en béton du chantier ! Le chien est-il une allusion ? Le toutou de toutou ? Nous ne le saurons probablement jamais

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La mise en scène, pour peu que l’on y prête attention, peut être très élaborée (on retrouvera ces mises en scène chez Eugène Trutat ou même bien plus tard chez Doisneau par exemple). Ainsi, cette carte magnifique de « La place de Sauzeil à Vicdessos » de chez Labouche nous livre de précieuses informations sur la vie quotidienne (et qui n’ont pas été photographiées par hasard !) - 1 : Il y a, en ce début de XXè siècle, un hôtel à Vicdessos, ce qui signifie qu’il y a du « passage » dans la vallée. Tourisme, clientèle d’affaire, toujours est-il qu’on descend au « grand hôtel de la Renaissance » à Vicdessos ! Rien que ça - 2 : Ce n’est pas seulement un hôtel, on peut aussi s’y restaurer. Mais on peut objectivement se demander pourquoi ce qui appartient visiblement au même établissement s’appelle d’un côté « Buvette » et de l’autre « Café » ? Est-ce parce l’entrée (et la sortie) sont différentes selon le degré d’alcool des boissons servies ? - 3 : Une femme à sa fenêtre, vêtue de blanc. Est-ce la « Marie » qui vient refaire la chambre ? - 4 : Regroupé devant le café, des femmes, des enfants, un vieillard. Les hommes ne sont pas là, ils sont au travail ailleurs et l’hôtel est tenu par des femmes… - 5 : La charrette de livraison attend devant la buvette, mais c’est un matelas qu’elle transporte … - 6 : L’enfant part à l’école. Nous sommes un matin de printemps vers 1900, les hommes sont partis aux champs depuis l’aube, les enfants se hâtent vers l’école, les femmes retapent les chambres de l’hôtel et attendent les clients. La vie reprend dans cette vallée de l’Ariège… Ce n’est plus une photo, c’est une histoire…

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La mise en scène et parfois la supercherie la plus simple peuvent parfois traverser le temps sans encombre. Ainsi, cette carte postale de la route de Marc qui présente un fier paysan et sa non moins fière paysanne regardant ensemble vers l’avenir ou les sommets montagneux, au choix. Une belle image produite par les frères Labouche au début du XXème siècle. Mais, a y regarder de plus près : la fière paysanne est en réalité un zouave qui rentrait de permission et qui dixit la petite fille de l’homme sur la charrette, passait par là par hasard avant d’être enrôlé par le photographe. Ce militaire sera passé à la postérité, mais peut-être pas comme il pouvait l’imaginer !

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Nous pourrions ainsi multiplier les exemples de mise en scène et de source historique que constitue la carte postale dans les Pyrénées. Et, si, nous avons un peu arbitrairement arrêté ce chapitre à 1920, l’histoire de la carte postale perdure bien évidemment jusqu’à nos jours. Cependant, c’est à partir de 1920 qu’elle subit un déclin important, dont elle ne se relèvera jamais, pour la simple raison que l’utilisation de l’appareil photographique se démocratise, se miniaturise, d’individualise. La carte postale gardera son rôle de moyen de correspondance, mais elle va perdre celui de témoin photographique. Et, même si l’on assiste clairement à une baisse générale de la qualité des clichés à partir des années 1960, l’image des Pyrénées se propage désormais bien au-delà des frontières via ces petites photos qu’on poste avec plaisir à ceux qui n’ont pas pu voir. 1936 les premiers congés payés, les premières vacances en montagne pour le grand public. 1948 les premiers Polaroïds, 1959 les premiers 24x36, 1970 les premiers instamatics. Chacun peut désormais voyager, grimper, photographier.

 - VOIR -

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Ainsi donc, chacun peut voir et montrer, chacun peut désormais se faire sa propre image des Pyrénées, et la faire partager à tous. Ainsi, en 2011, l’Internet nous permet d’aller chercher l’image que le monde véhicule à propos de nos montagnes. Si on tape « Pyrénées » sur le moteur de recherche d’images de Google, ce sont 13 900 000 réponses que l’on obtient et voilà ce qui s’affiche en première page ! Il est intéressant de noter que j’ai fait cette interrogation hier, et lorsque j’ai fait la même interrogation il y a quelques semaines pour donner le résumé de cette présentation au Muséum, le nombre était de 9 250 000 En d’autres termes, aujourd’hui, l’image des Pyrénées, c’est la nature, l’eau, les sommets et la neige. On est quand même très loin des images des débuts de la photographie !!!!

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Si nous nous livrons à cette interrogation de manière un peu plus détaillée, mais cette fois en associant un autre terme à Pyrénées, nous obtenons ce type de résultats. Oh, bien sur il faut tenir compte des redondances, des images pas vraiment adéquates, mais ces chiffres nous donnent une vraie tendance de l’image actuelle des montagnes pyrénéennes. Plus de doute, l’image des Pyrénées, aujourd’hui, c’est l’image des loisirs, du tourisme et des sports d’hiver. Il est bien loin le temps où l’on exaltait les industries des vallées, celui où l’on montrait les populations un peu arriérées. Les Pyrénées et leur image sont partie prenante de cette société des loisirs que nous cherchons à construire en ce début de  XXIème siècle.

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Mais une nouvelle image des Pyrénées se dessine aussi depuis le milieu des années 1970 avec l’arrivée des satellites de télédétection. Jusqu’à la fin du XIXème siècle les Pyrénées sont une barrière entre deux pays, à la fin du XXème siècle elles deviennent une entité propre. On peut les visualiser dans leur globalité, les considérer non plus comme un mur, mais comme un espace que l’on va pouvoir étudier en tant que tel et ainsi, engendrer une nouvelle image du massif, car on ne parle alors plus DES Pyrénées, mais bien DU massif pyrénéen.

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Les images changent et notre regard doit s’adapter. Déjà, avant d’aborder d’autres longueurs d’ondes, l’apport des satellites nous a en quelque sorte obligé à regarder le monde « du dessus » et à opérer un changement continu d’échelles de perception. De même, la notion de document source de ce qu’on voit, de l’image perçus devient floue : qu’est ce qui est une photographie ? Qu’est ce qui est une image de synthèse ?, il devient désormais possible de s’inventer une image de la montagne.

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Les images générées par les satellites peuvent également s’intéresser aux domaines de l’invisible… pour l’œil humain. Ici, par exemple, une image SPOT dans le proche infrarouge, image à laquelle nous sommes désormais habitués : du rouge pour la végétation. Allez expliquer aux générations du début du XXème siècle que la forêt pyrénéenne est rouge ! De même, dans le cas de l’imagerie radar, ce que nous voyons n’est pas une photographie, mais la résultante d’un calcul ! Et ainsi va naître une nouvelle image des Pyrénées, celle non plus d’une barrière, d’un espace vécu, mais bien d’un phénomène.

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Ainsi cette représentation, une image (qui est plus proche d’une carte) du taux d’illumination artificielle dans le sud de la France et le nord de l’Espagne. Bordeaux, Toulouse, Barcelone et, qui saute aux yeux deux versants du massif. En France, du vert, du jaune du rouge : beaucoup de lumière, beaucoup d’occupation. En Espagne, du bleu et du noir : des Pyrénées dépeuplées, peu développés. Tout à l’heure, d’une carte postale d’enfants mineurs à Olbier nous pouvions imaginer le contexte social et économique d’une vallée pyrénéenne. A présent, devant cette image, nous apparaît tout le contexte socio-économique d’une frontière naturelle entre deux pays.

 – CHERCHER -

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Alors, devant ce flux d’information, est-il possible de tirer parti de ces images accumulées depuis plus de 150 ans pour essayer de comprendre comment ont évolué nos montagnes ? Dans ce dernier chapitre, c’est l’utilisation des photographies pour la recherche scientifique que je voudrais un peu mettre en exergue à travers ce que nous faisons au laboratoire.

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Notre première démarche va consister à essayer de trouver un maximum d’images. Auprès des musées, des collections personnelles, des fonds un peu oubliés, nous récupérons, numérisons, indexons, des cartes postales, des plaques de verre, des diapositives, enfin tout type de document photographique susceptible de nous apporter des informations visuelles sur les hommes et les paysages.

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Nous cherchons à retrouver les lieux photographiés mais également, ce qui est parfois beaucoup plus difficile, les lieux de prise de vue. Pour ça, une solide connaissance du terrain mais également l’utilisation des outils modernes de géolocalisation comme les GPS ou les logiciels comme Google Earth vont nous être d’une aide précieuse

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Nous refaisons les clichés selon les mêmes points de vue afin d’étudier les changements intervenus au cours du passé. Les images satellitaires nous permettent de remonter jusqu’en 1986 pour Spot, 1972 pour Landsat. Les photographies aériennes nous permettent de remonter jusqu’en 1943, mais les photographies au sol, comme nous l’avons vu, nous offrent des points de vue depuis les années 1870, soit près de 70 avant les premières photographies aériennes. C’est un apport considérable à la compréhension de l’évolution des paysages dans les Pyrénées.

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La superposition de ces images, leur interprétation et leur spatialisation nous permettent au final de reconstituer des cartes des changements intervenus dans le massif, en l’occurrence ici dans la vallée du Vicdessos en Ariège où l’on détermine clairement ce qu’on appelle la fermeture des paysages pyrénéens.

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A l’inverse nous allons utiliser des images satellitaires ou des photographies aériennes que nous allons classer, c'est-à-dire segmenter en grandes catégories de paysages à partir d’algorithmes de calculs. La question est alors : comment vérifier la véracité de nos résultats  pour les décennies passées, en d’autres termes comment « voir » si en 1950 ou 1953, nous avions effectivement à l’emplacement modélisé tel ou tel type de végétation ?

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Eh bien simplement en essayant, par l’utilisation d’outils de représentation 3D, de reproduire le point de vue d’une photographie ou d’une carte postale dont on connaît la date et le lieu de prise de vue, comme sur cet exemple d’un point de vue de la vallée d’Auzat, reproduit quasiment à l’identique sur Google Earth avec ce qu’on appelle un drapé de la photographie aérienne de 1953 classée.

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Des photographies récoltées, des images calculées, nous créons un continuum de connaissances sur la montagne pyrénéenne qui part des exploits de montagnards photographes de la fin du XIXème siècle pour se perdre dans les orbites des satellites d’observation de ce début du XXIème siècle. L’image des Pyrénées se forge désormais sur des ordinateurs.

- CONCLUSION -

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Avant de conclure, juste vous citer 3 beaux ouvrages : Le recueil de photographies de Georges Ancely par Claire Dazin, paru chez Privat à l’occasion de l’exposition organisée au Musée Paul Dupuis l’été dernier - Un joli travail sur Chafré autour de ses cartes postales - Et surtout le remarquable livre de synthèse écrit par Santiago Mendieta, ancien journaliste à Pyrénées Magazine sur l’histoire de la photographie dans les Pyrénées.

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Pour conclure cette présentation sous forme de clin d’œil, j’attire votre attention sur cette vielle carte postale d’une vue de la vallée du Vicdessos en Ariège de 1953… carte postale qui n’a jamais existé ! Il s’agit d’une photographie aérienne numérisée et plaquée en vue 3D sous le logiciel Google Earth et un tout petit peu habillé pour faire plus vrai ! Avec le présent, nous savons aussi faire des images du passé, la boucle est bouclée !

 

 

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