La Photothèque OHM
La photothèque du Vicdessos : des images pour comprendre l’histoire des paysages
Franck VIDAL
Conférence à la Maison des patrimoines – Auzat – jeudi 21 avril 2011
Bonsoir. Et merci d’être là pour cette soirée autour de l’image. En effet, ce que je vais vous présenter, à savoir la photothèque de l’Observatoire Homme Milieu du Haut-Vicdessos est un axe de recherche et de valorisation de la démarche scientifique essentiellement orienté vers l’image, vers la photographie ancienne et récente, vers la carte postale et les prises de vues de terrain, en un mot vers l’espace et le paysage vus. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet quelques informations sur le contexte technique de cette photothèque et de ma présence ici.
Quelques mots sur moi : je suis Ingénieur de Recherche au CNRS, je travaille au laboratoire GEODE, laboratoire de Géographie spécialisé dans l’Environnement à l’Université de Toulouse Le Mirail. Docteur en Géographie, ma formation initiale est la télédétection, l’étude des changements à travers les images satellitales. Ceci explique cela ! Je m’occupe désormais de la BIPT, la Banque d’Images des Patrimoines et Territoires, plate forme de numérisation, d’indexation et de diffusion d’images scientifiques et qui compte désormais près de 100 000 images dans plus de 80 pays et un site Internet avec de nombreuses rubriques autour de l’image et de son utilisation en Sciences Humaines et Sociales.
Parallèlement, l’INEE, l’Institut d’Ecologie et d’Environnement a décidé de développer des observatoires Homme Milieu qui sont des regroupements d’équipes scientifiques dans tous les domaines, autour d’un objet et d’un lieu d’étude commun. Actuellement il y a 6 observatoires en fonctionnement : Sur l’Oyapock en Guyane, à Estarreja au Portugal, à Téssékéré au Sénégal, dans la vallée du Rhône, à Gardane sur l’ancien bassin minier de Provence et enfin dans la vallée de Vicdessos, qui existe depuis maintenant 2 ans. La mission des OHM est d’observer les changements intervenus au cours du temps dans une région bien spécifique, en associant différentes équipes interdisciplinaires et en mettant en exergue les rapports de l’homme avec son environnement.
La vallée du Vicdessos a naturellement constitué un site idéal pour l’étude des interactions société – environnement. Depuis le néolithique, la vallée est sujette à des phases d’évolution caractéristiques dominée par la métallurgie : Celle du fer, depuis l’antiquité et marquant fortement le territoire de la vallée à partir des XIe et XIIe siècle - Les XVIIIe et XIXe siècle représentent la phase à la fois d’apogée et de crise du système. - Au milieu du XIXe une rupture majeure intervient avec la fin de la métallurgie « à la catalane ». Commence alors un exode rural qui va s’accélérer par phases successives jusqu’à la fin du XXe siècle. - Parallèlement, des politiques publiques nouvelles sont instaurées (reboisements RTM). En 1906 commence un nouveau cycle métallurgique, celui de l’aluminium, favorisé par la disponibilité en énergie hydraulique. - Ce cycle s’est achevé en 2006, avec la fermeture et le démantèlement de la dernière usine Pechiney tandis que l’économie agro-pastorale, qui s’était maintenue jusqu’aux années 1940, s’effondre pour aboutir à une quasi-disparition des éleveurs.
Une vingtaine d’équipe scientifique travaillent aujourd’hui au sein de l’OHM sur le Vicdessos, depuis l’étude des dynamiques de répartitions des populations de tritons palmés jusqu’à l’observation des changements paysagers par images satellitaires en passant par les études démographiques à travers les noms propres de la vallée ou les recherches archéologiques sur les exploitations minières. L’idée est d’impliquer des chercheurs de tous horizons autour d’un objectif commun : mieux connaître l’évolution des milieux naturels du fait de l’impact des sociétés humaines et restituer ces connaissances auprès des populations intéressées et concernées. C’est dans ce cadre que se situe la photothèque, plate forme technique transversale aux programmes scientifiques sur le Vicdessos.
Les objectifs de la photothèque sont triples :
- Construire une base de données numériques de photographies anciennes et récentes en faisant l’acquisition d’un maximum de fonds photographiques et de collections publiques et privées sur le Vicdessos. Cette base doit assurer la numérisation des fonds, leur indexation, leur stockage et leur sauvegarde, mais également leur restitution. Le tout gratuitement et de manière ouverte.
- Le deuxième objectif de la photothèque est de pouvoir aider à l’analyse de l’évolution des paysages par comparaison photographique. En effet, si, en télédétection d’images satellitales la comparaison d’images multidates est courante, cette approche avec des photographies au sol est beaucoup moins fréquente. C’est ce que nous verrons dans la deuxième partie de cet exposé
- Enfin, et c’est un point important des objectifs généraux des Observatoires Hommes Milieux, la photothèque s’inscrit dans une politique de restitution auprès du public et en particulier auprès des habitants de la vallée. C’est, entre autre, la raison de ma présence parmi vous ce soir.
Il est un quatrième point qui m’est apparu au cours de la constitution de la photothèque et notamment de l’acquisition de clichés anciens : c’est la formidable leçon de vie et de connaissance que l’on peut tirer des images anciennes et des cartes postales notamment. Si l’on veut bien s’arrêter quelques instants non plus pour accumuler le savoir, construire des bases ou tenter de modéliser, mais bien tout simplement pour regarder, observer, s’émouvoir d’un groupe d’enfants de mineurs posant pour la postérité, d’une rue de Vicdessos un printemps de 1900, d’un détail oublié au hasard d’une image, alors c’est un ancien monde qui s’offre à nous, un monde peut-être pas encore si révolu. Et c’est ce que je voudrais que nous partagions ce soir
Depuis près de 2 ans que nous avons pris notre bâton de pèlerin pour recueillir un maximum de fonds photographiques sur le Vicdessos, nous avons désormais une base de près de 7 850 images, dont près de 750 clichés anciens (entre 1880 et 1920) auxquels il faut ajouter plus de 370 cartes postales. Oui, il y a bien eu plus de 350 cartes postales différentes réalisées sur la vallée du Vicdessos vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle ! Les images sont ventilées par communes, puis, dans le cas de grandes communes comme Auzat, par secteurs. Et, très logiquement, on trouve un plus grand nombre d’images sur les grandes communes, mais aussi sur les secteurs plus faciles d’accès. Les images nous ont été confiées soit par des chercheurs directement impliquées dans l’aventure de l’OHM, soit par des habitants de la vallée, passionnés de photographies ou de cartes postales anciennes. Dans tous les cas, un grand merci à tous les contributeurs, cette photothèque n’existerait pas sans leur participation. Parallèlement, nous avons également trouvé quelques images anciennes dans les fonds de la Société de Géographie de Toulouse, dans le fonds Trutat du Muséum d’Histoire Naturelle ou encore dans les collections de l’Institut Daniel Faucher. Dans les mois à venir, nous espérons avoir accès à d’autres fonds sur les Pyrénées et notamment aux collections du Musée Pyrénéen de Lourdes… Etrangement, ce qui fait défaut aujourd’hui ce sont des fonds sur la période 1920/1970 et notamment sur la période de l’après guerre qui pourrait être très intéressante dans nos études. Je lance donc un appel à contribution !
Une fois les images numérisées, il a fallu les trier, les indexer, et les structurer au sein d’une base de données. Dans un souci permanent d’utilisation d’outils gratuits, facilement transposables, nous avons opté pour le logiciel de gestion d’images PICASA de Google et pour une indexation des images où les informations sont directement intégrées dans le fichier image – ce qu’on appelle des métadonnées – en l’occurrence ici selon un code normalisé international, le code IPTC. Mais je ne rentrerai pas dans le détail technique ici. Ce qu’il faut savoir, par contre, c’est que dans la création d’une banque d’image, la partie numérisation ne représente que 10 ou 20% du travail, c’est le classement et l’indexation qui constituent la plus grande partie du travail. Dans nos images, bien souvent, nous n’avons hélas que des informations partielles. L’une des informations primordiale pour nous est la localisation…
En effet, nous l’avons vu, l’un des objectifs de la photothèque est l’aide à la compréhension de l’évolution des milieux par photographies anciennes et récentes comparées. Il est donc indispensable de connaître où de retrouver non seulement le lieu photographié, mais également le lieu d’où a été pris la photo. Ici, par exemple, Auzat vu de la route de Saleix et vu du château de Montréal. Le problème est que nous sommes en montagne et que, nous nous intéressons globalement à l’évolution de la vallée et que donc les points de vue potentiels sur une vallée entourée de montagnes sont innombrables !! Fort heureusement il s’avère que bien souvent, tout le monde fait les mêmes photos, du même endroit. Qui s’est retenu de prendre des photos de la vallée lorsqu’il était à Montréal ou au Palet de Sanson ?
Le but du jeu – si je puis dire – consiste donc à reprendre une photo ancienne, à retrouver l’endroit de la prise de vue et à refaire le même cliché et il n’y a pas 36 solutions pour y arriver. Soit avoir sous la main quelqu’un qui a une parfaite connaissance préalable du terrain (des habitants de la vallée, des montagnards, des chercheurs…); Fort heureusement, il s’avère que Jean-Paul Métailié, directeur de recherche au laboratoire, pratique ce sport de la photographie comparée dans les Pyrénées depuis plus de 25 ans ! Ça aide ! Soit faire appel aux bonnes volontés où aux étudiants pour parcourir le terrain et retrouver les sites. Soit, enfin, et c’est une possibilité nouvelle et particulièrement intéressante, faire une approche du terrain et de la vue à l’aide d’une simulation avec le logiciel Google Earth. C’est un outil particulièrement utile dans notre démarche, non seulement pour faire ces simulations et retrouver les lieux de prise de vue. Mais également pour géocoder les images dans des formats standards et gratuits.
Au final, nous avons sélectionné plus d’une soixantaine de sites témoins sur l’ensemble de la vallée sur lesquels les photos seront refaites et les analyses comparatives effectuées. Ce sont quelques uns de ces sites que nous allons voir maintenant, et je m’appuie essentiellement sur les travaux réalisés par Juliette Carré, une chercheure dont la thèse de doctorat a portée sur cette approche de l’évolution des paysages.
Au début du XXe siècle la soulane de l’Artigue est un territoire très exploité, cultivé et fauché, malgré la présence de ravins actifs, très visibles sur l’image de 1904, prise par les forestiers des chantiers RTM, restauration des terrains de montagne. Le paysage est dénudé, très fragile : forte érosion, couloirs d’avalanche l’hiver, éboulements. Depuis les années 1860, les travaux RTM sont entamés : plantations de jeunes conifères, rectification des ravins. Ces travaux commencent à apparaître sur l’image de 1904 En 1983 et surtout sur l’image de 2006 ont peut voir nettement que les dernières surfaces agricoles et les derniers pacages sont abandonnés au profit de la forêt qui s’étend, mouvement entamé dans les années 50 avec l’exode rural. Juxtaposition des forêts plantées (mélèze, épicea) et des forêts naturelles plus ou moins sales : fougères, noisetiers, bouleaux, les arbres gagnent en altitude et c’est particulièrement remarquable sur l’exemple suivant, Bassiès…
En effet, alors que les basses estives des étangs de Bassiès ont toujours été connues pour leur caractère dénudé - nous sommes quand même à près de 1700 m d’altitude - sur les photos apparaissent dès les années 80 les premiers pins à crochets, avec un développement spectaculaire aujourd’hui, lié en partie à une pression pastorale moins importante. Le tapis herbeux semble se transformer de pelouses en landes avec de la végétation buissonnante, même sur les éboulis : callune, genêts, myrtilliers, pins à crochets. Ici, aucun doute que le réchauffement climatique agit pleinement.
Autre exemple : Suc et Sentenac - Au début du XXe siècle la soulane de Suc et Sentenac est très marquée par l’agriculture sur versant, même à forte pente, on voit nettement que les parcelles sont encore exploitées et on ne distingue que de rares arbres. En 1985 le changement est spectaculaire : on est passé à un abandon total non seulement des pratiques agricoles mais également de l’entretien des haies. Les villages semblent totalement étouffés par la végétation. C’est la fermeture des paysages, jusqu’à l’illusion, au gré de la hauteur des arbres en 2006 que le village a purement et simplement disparu !
C’est peut-être ici l’image la plus ancienne que nous avons : le village de Siguer en 1888. Ici encore on peut voir la très intense exploitation agricole de la montagne, tant en fond de vallée que très haut sur les versants sous forme de terrasses En 1983 on devine encore quelques exploitations en fond de vallées, quelques pacages d’estive sur les sommets, mais les terrasses sont abandonnées et livrées au reboisement. Les parcelles cultivées sont peu à peu remplacées par des prairies de fauche, y compris dans la vallée aux abords du village. En 2008, comme pour Suc et Sentenac, le paysage se ferme au profit de la forêt, l’espace se fige.
Prenons un dernier exemple, celui du versant sud d’Auzat, en direction d’Olbier où ici se combinent diverses évolutions. Juliette Carré les a synthétisé à travers ce dessin où apparaissent nettement 3 phénomènes :
- l’incroyable extension des surfaces boisées entre 1950 et 1996 que nous avons retrouvé dans les exemples précédents
- L’abandon total des terrasses
- L’extension du bourg entre 1950 et 1996
Ce dernier phénomène est lié bien évidemment à l’industrialisation du bassin d’Auzat : Si une première usine est construite entre 1907 et 1908 et si le village d’Auzat s’étend, c’est surtout entre 1950 et 1996 que les changements urbains sont forts. Un remaniement et un agrandissement significatif de l’usine provoque un exode rural vers Auzat, véritable bassin d’emploi pour une agriculture en voie d’abandon. Naissent un centre de vacances, un camping et la vocation nouvelle de la vallée qui s’investit dans le tourisme.
Bien d’autres exemples peuvent être pris puisque nous avons actuellement plus de 850 images comparatives sur 2, 3, voir 4 dates. Il nous reste de nombreux sites à étudier, à comparer, mais également des images anciennes à reprendre. De même la thématique urbaine a été peu étudiée jusqu’à présent et nous découvrons de nouvelles images anciennes (nous avons été contacté hier par Monsieur François Cugullière qui nous dit posséder près de 800 cartes postales anciennes numérisées sur le Vicdessos).
Si l’on étend ces exemples à l’ensemble de la vallée, on peut extraire des cartographies générales montrant les différentes dynamiques d’évolution paysagère. Ainsi, ce travail de Juliette Carré esquisse 3 grands types d’évolution au cours, en gros des cent dernières années. Dans les parties les plus hautes, l’abandon progressif et l’enfrichement des estives. Sur les versants, et c’est sans doute ce qui est visuellement le plus spectaculaire : un emboisement, rapide, intensif et provoquant la fermeture totale des paysages. Dans les vallées, un étalement urbain qui s’est grandement ralenti avec la fin de l’industrie métallurgique en 2006. C’est sans doute la grande interrogation des années à venir : quelle évolution pour ces fonds de vallée, partagés entre poursuite de l’exode et retour d’activités, notamment via le tourisme vert.
Ce que je voudrais maintenant, c’est que nous nous arrêtions ensemble sur quelques images, et notamment des cartes postales, qui, au-delà de l’intérêt géographique et historique, nous renseignent non seulement sur la vie dans la vallée mais également sur la démarche photographique dans les Pyrénées il y a plus de 100 ans. J’attends également vos réactions à ces images et à mes commentaires.
Certaines cartes (mais également leur légende) sont assez surprenantes, comme cette image d’enfants légendée « jeunes mineurs et futurs mineurs du Rancié » (Bourg Ed. – Imprimeurs réunis Nancy) ! En dehors de l’aspect quelque peu cynique tel qu’il peut apparaître aujourd’hui, cette carte postale appelle un certain nombre de questionnements sur les conditions de vie dans la vallée (mais pas seulement) en ce début du XXè siècle (date probable du cliché) mais également sur le contexte général de « l’image » du Vicdessos Tout d’abord, le simple fait d’éditer une carte postale représentant des « travailleurs » ou des « enfants de travailleurs » est un acte totalement aberrant de nos jours. Qui enverrait une carte postale (en admettant qu’il en trouve une !!) représentant des enfants travaillant dans une usine de chaussures ou de textile pour illustrer ses vacances en Chine !!! On peut donc penser qu’au début du XXè siècle, le travail de la mine apparaissait aux « étrangers » à la vallée comme une activité « exotique » susceptible d’étonner, voir de « dépayser » (a noter que l’éditeur Bourg semble être à Nancy).
C’est aussi tout le contexte de l’édition et de la distribution de cartes postales qui était différent d’aujourd’hui. Dans les premiers temps de son développement, cette activité n’était pas axée quasi essentiellement sur le support photographique pour une correspondance de vacances, de voyage ou de loisir comme aujourd’hui, mais bien comme un substitut à la photographie personnelle : peu de gens possédaient et utilisaient des appareils photos, les cartes postales permettaient de conserver un témoignage visuel de son passage. Dès lors, on comprend mieux l’intérêt d’un tel cliché : ce n’est pas une image que l’on envoie pour « illustrer » ses vacances ou ses voyages, mais bien une photographie pour un usage de collection personnelle. L’autre réflexion que l’on peut faire à la vue de cette carte concerne les conditions de vie et de travail de la vallée à l’époque (si l’on s’en tient à la légende, ce qui est très discutable) : Très tôt les enfants étaient mis au travail et dans des travaux aussi pénibles que la mine. Les quatre garçons au dernier rang semblent avoir autour de 15 ans. « Futur mineur » sous-entend qu’ils n’avaient d’autre avenir (pour les 9 petits garçons). Mais là où la légende est fausse, c’est que l’image présente 7 fillettes et que les filles n’allaient pas à la mine ! Cette carte postale témoigne donc également un phénomène inhérent à toute l’histoire de l’image : ce qui est représenté et l’interprétation qu’on en fait…
Nous n’avons pas trouvé de carte postale de mineurs à la mine ! Mais bien posant en famille devant leurs maisons
L’image véritablement caricaturée des montagnards à travers la carte postale se retrouve également dans les portraits et les métiers typiques. Etrangement, dans les collections que nous avons pu voir, il semble que les clichés aient été réalisés plutôt dans la vallée d’Aulus…
Sur cette carte postale, c’est plus la légende qui est intéressante : « Auzat- Le pont du Tramway sur le Vicdenos (en ciment armé Hennebique) » Première remarque qui saute aux yeux, la faute de frappe évidente sur Vicdessos : le double S est devenu un N (ce n’est pas un changement orthographique comme on le voit dans certaines cartes où Vicdessos apparaît par exemple en deux mots, mais bien une erreur de frappe ou d’impression). L’autre réflexion que l’on peut avoir à la lecture de cette légende concerne le mot « tramway » utilisé ici. Aujourd’hui, nous serions tentés de parler de « train », au vu de la locomotive de l’image et surtout du lieu de prise de vue. En effet, on réserve le mot tramway aux liaisons urbaines et interurbaines (bien que le terme ne désigne littéralement que « une voie (way) à rail plat (tram) ». Deux hypothèses dès lors : A cette époque (le terme date de la première moitié du XIXè siècle) le terme de tramway était couramment utilisé pour tout transport ferroviaire ou, tout simplement, ce train reliant les villages de la vallée, Auzat, Vicdessos, Laramade, Niaux, Tarascon… est bien en quelque sorte un transport interurbain et donc un tramway ! Plus intéressant encore, par rapport au contexte de l’époque est l’annotation entre parenthèse. Les auteurs spécifient bien que le pont est en ciment armé hennebique. François Hennebique est tout simplement l’inventeur du béton armé dont le premier immeuble verra le jour en 1892 et le premier pont en 1899. On peut donc penser qu’au moment de l’édition de la carte l’invention était encore naissante (et son inventeur célèbre) au point que la prouesse technologique soit spécifiée dans la légende. De plus (et cette approche trouvera son paroxysme dans les grandes expositions universelles du début du XXè siècle) nombres de cartes postales, de photographies et d’images de cette époque vantent à foison les bienfaits des progrès technologiques et industriels. Le Vicdessos n’échappe pas à cette « mode », notamment à travers l’industrie hydroélectrique.
Ainsi, toujours du côté industriel, nous allons trouver des images qui, en quelque sorte font la fierté de la vallée : les usines. En effet, nous avons répertorié plus de 20 cartes postales autour des usines. Certaines peuvent être datées facilement puisqu’il s’agit de la construction en 1906 et 1907. Souvent dans les légendes, il est bien spécifié : Auzat et ses usines
Pourrait-il exister ce genre de carte postale aujourd’hui ? Et c’est bien ça qui est passionnant avec les cartes postales anciennes, c’est que bien plus que chercher à rendre un beau paysage ou un lieu idyllique pour faire plaisir au touriste, les cartes postales rendaient tout simplement compte de la vie à travers la photographie. Ce n’est plus de l’image d’Epinal comme on le conçoit aujourd’hui, c’est du reportage photographique.
Autre image presque comique au regard de la légende, la carte Delpy annotée « Cavalerie d’Entreprise Thevenot » à Auzat et représentant un groupe d’hommes accompagnés de leurs mules ! Ce qui est annoncé comme une cavalerie est plutôt probablement une entreprise de transport de marchandises à dos de mules. Plus énigmatiques sont les coffrages métalliques du premier plan…
Mais nous retrouvons l’Entreprise Thevenot sur une autre carte postale de chez Delpy légendée : « Toutous – Chantiers de fabrication des tuyaux ». Il faut s’attarder sur les dits tuyaux pour y voir littéralement taggé le nom de l’entreprise. Toutous ou les Toutous est un lieu-dit sur les hauteurs de Marc en amont d’Auzat sur l’Artigue. Au dessus de Toutous, un captage a été réalisé. On peut donc imaginer que les mules étaient utilisées pour les « navettes » Toutous / Auzat et les coffrages pourraient donc très bien être des moules pour les tuyaux en béton… A noter aussi ce qui est particulièrement amusant sur cette carte : la jeune femme sur la gauche, en robe longue, posant « tout naturellement » avec son chien, au milieu des tuyaux en béton du chantier !
Si nous nous arrêtons sur le commentaire, il est possible de retrouver la même carte chez 2 éditeurs, mais la légende a changé. Ainsi, la même image de l’entrée d’Auzat (avec le château de Montréal en arrière plan) est présente aux éditions Labouche et aux éditions Dauphin, mais avec une légende légèrement différente. Est-ce un photographe de chez Labouche qui aurait cédé les droits aux éditions Dauphin ? Est-ce Dauphin qui aurait été racheté par Labouche ? Il est pratiquement impossible de connaître l’origine de la « transaction » sans la localisation du cliché originel… Aux éditions Dauphin (Tarascon) - Légende : Auzat (Ariège) – Entrée du village - Aux éditions Labouche (Toulouse) - Légende : Auzat – Le village et les ruines du château de Montréal - Comme si Labouche pressentait déjà le potentiel touristique de laprésence du château de Montréal
Il arrive également que l’on cherche à dépasser la simple iconographie pour faire passer un message, y associer un texte. Ce qu’on sait, c’est qu’avant 1904, les cartes, sur le même côté que la photo pouvait servir à la correspondance. A partir de 1904, les cartes comportent officiellement un côté recto réservé à la photo et un verso pour l’adresse et la correspondance
Mais on trouve des cartes, ici, une vue de Siguer, toutes deux publiée chez Labouche, mais avec une réédition contenant un poème de Gustave Lamourous
Parfois les éditeurs (manquant cruellement d’imagination !) reprennent le même point de vue, mais vont jouer sur la mise en scène et sur les éléments insérés dans l’image. Ainsi, sur cette série, la vue sur Laramade est toujours la même (la position du photographe n’a pratiquement pas changée), mais, alors que chez C.Blanc (Editeur de Tarascon) la carte postale ne présente que le village (1), chez Labouche, 3 fois le même point de vue, mais dans un cas avec une calèche (2), dans un autre avec le train (3) et enfin avec la charrette de charbon de bois (4) (avec changement d’orthographe pour Vicdessos / Vic Dessos et pour Laramade / La Ramade!)
Nous retrouvons le même principe : même prise de vue, mais « acteurs » différents également sur la cascade de Capounta : un attelage, un échafaudage (peut-être témoignant de la construction ou de la rénovation du pont ?), un couple (avec une mise en couleur et un angle très légèrement différent induisant sans conteste un effet « romantique »)
La mise en scène, pour peu que l’on y prête attention, peut être très élaborée (on retrouvera ces mises en scène chez Eugène Trutat ou même bien plus tard chez Doisneau par exemple). Ainsi, cette carte magnifique de « La place de Sauzeil à Vicdessos » de chez Labouche nous livre de précieuses informations sur la vie quotidienne (et qui n’ont pas été photographiées par hasard !) - 1 : Il y a, en ce début de XXè siècle (ou en toute fin du XIXè), un hôtel à Vicdessos, ce qui signifie qu’il y a du « passage » dans la vallée. Tourisme, clientèle d’affaire, toujours est-il qu’on descend au « grand hôtel de la Renaissance » à Vicdessos ! - 2 : Ce n’est pas seulement un hôtel, on peut aussi s’y restaurer. Mais on peut objectivement se demander pourquoi ce qui appartient visiblement au même établissement s’appelle d’un côté « Buvette » et de l’autre « Café » ? Est-ce parce l’entrée (et la sortie) sont différentes selon le degré d’alcool des boissons servies ? - 3 : Une femme à sa fenêtre, vêtue de blanc. Est-ce la « Marie » qui vient refaire la chambre ? - 4 : Regroupé devant le café, des femmes, des enfants, un vieillard. Les hommes ne sont pas là, ils sont au travail ailleurs et l’hôtel est tenu par des femmes… - 5 : La charrette de livraison attend devant la buvette, mais c’est un matelas qu’elle transporte … - 6 : L’enfant part à l’école. Nous sommes un matin de printemps vers 1900, les hommes sont partis aux champs depuis l’aube, les enfants se hâtent vers l’école, les femmes retapent les chambres de l’hôtel et attendent les clients. La vie reprend dans cette vallée de l’Ariège… Ce n’est plus une photo, c’est une histoire…
A contrario, on retrouve pratiquement la même image du « grand hôtel de la Renaissance » à Vicdessos, toujours chez Labouche, mais cette fois sans pratiquement aucun « effort » de mise en scène, ou alors cette fois avec des hommes qui posent et un point de vue légèrement décalé
DIAPO 36
Enfin, on se demande parfois si la mise en scène n’est pas quelque peu « factice » ! Aller monter une barque à 1600 m d’altitude pour faire croire qu’on peut « canoter » sur l’étang Majeur de Bassiès, c’est sans doute un peu exagéré !
Cela dit, si, d’ici une centaine d’année quelqu’un s’intéresse au cliché suivant, peut-être sera-t-il, lui aussi en proie aux doutes sur l’utilité d’une telle mise en scène !!
On pourrait multiplier à foison ces exemples d’appréhension de la montagne à travers l’imagerie populaire et en particulier à travers la carte postale ancienne. Etrangement, peu de travaux ont été réalisés en ce sens, et la vallée du Vicdessos constitue un milieu idéal pour ce type de démarche
Je voudrais conclure d’abord en vous indiquant les modalités d’accès au site Internet de la photothèque : Soit simplement en tapant photothèque ohm sur les moteurs de recherche. Soit en passant par le site de l’OHM du Vicdessos rubrique Photothèque ou le site de la BIPT
Sur ce site vous trouverez les principales rubriques dont on a parlé, qui sont enrichies régulièrement. Par exemple, avant l’été, devrait apparaître une rubrique autour de l’album de photographie Meyer qui nous a été confié par Philippe Dupui et comprenant plus de 350 images d’une famille de Vicdessos au début du XXe siècle. Je relance un appel à contribution pour des fonds photographiques anciens, en particulier des années 40 à 70. Concrètement nous nous prêtez vos fonds, ils sont numérisés, indexés, stockés et vous sont rendus avec copie numérique.
Pour conclure, juste vous remercier pour votre accueil et votre attention et en particulier un très grand merci à Catherine et Florence de la Maison du Barri. Je reste à votre disposition pour dialoguer. Merci encore